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Si tout est relativement clair avec la Bourgogne et ses quatre niveaux hiérarchiques de classification des vins (voir mon article sur les vins de Bourgogne), plusieurs classifications des vins de Bordeaux peuvent paraître plutôt confuses.
Les deux parties de la région de Bordeaux – la Rive Droite et la Rive Gauche – ont leurs propres classifications, dont la terminologie et les critères diffèrent parfois, bien que leur principe reste le même – distinguer les meilleurs vins. Beaucoup de vignerons (mais pas tous) s’efforcent d’entrer dans une telle catégorisation, car obtenir l’un de ces statuts signifie la reconnaissance de leur travail et que leurs vins peuvent prétendre à un prix de vente plus élevé.
On peut dire que la région de Bordeaux est la plus « classée » de toutes les régions viticoles françaises, car:
- elle se caractérise par de nombreux domaines viticoles historiques
- une structure de marché particulière
- le principe de commercialisation de ses vins qui lui est propre – par l’interaction de trois acteurs du marché : vigneron, courtier et négociant.
- En plus la region de Bordeaux a une localization avantageuse dans l’estuaire de la Gironde, qui lui offre l’accès au marché international. Cela signifie que l’avis d’acheturs étrangers lui aussi a influencé l’émergence de nombreuses classifications des vins de Bordeaux.
Classifications des vins de la Rive Gauche de Bordeaux
La « Rive gauche » est un terme générique pour les appellations de Bordeaux situées sur la rive gauche de la Garonne (qui traverse la ville et le département de la Gironde) :
- Graves
- Pessac-Léognan
- Sauternes-Barsac
- Médoc
On compte quatre classifications rien que sur la Rive Gauche. Et certaines entre elle s’appliquent sur les mêmes communes de la Rive Gauche.
Classement des Grands crus de 1855 (Grands Crus Classés de 1855)
Emblème des Grands Crus Classés en 1855
C’est le plus célèbre de tous. Il a été créé spécialement sur ordre de l’empereur Napoléon III pour l’Exposition Universelle de Paris. La France accueillait l’exposition pour la première fois (la précédente était à Londres), il était donc très important pour l’Empereur de montrer le meilleur de sa patrie. Sur les ordres de Napoléon III, la Chambre de commerce de Bordeaux a demandé aux courtiers de dresser une liste des meilleurs vins de Bordeaux, les plus chers et les plus célèbres. Les courtiers ont sélectionné les vins rouges de 56 Châteaux dans le Médoc et un château dans la region de Graves, dont ils ont répartis dans 5 catégories:
- Premier Grand Cru Classé
- Second
- Troisième
- Quatrième
- et Cinquième Grand Cru Classé
Les 21 Châteaux de Sauternes ont été répartis dans trois catégories pour les vins blancs doux (les blancs secs n’ont pas été inclus, car les vins sucrées étaient plus appréciées et vendues plus cher au XIXe siècle):
- Premier Cru Supérieur – le plus haut niveau de classification
- Premier Cru Classé
- et Deuxième Cru Classé
Château Pichon Baron Second Grand Cru Classé, Paulliac
Château d’Yquem Premier Cru Supérieur, Sauternes
Toutefois, la hiérarchie n’était pas fondée sur la dégustation et l’évaluation de la qualité des vins, mais plutôt sur leur niveau de prix au cours des dernières décennies, ainsi que sur le prestige du château et la renommée de ses propriétaires.
Cette méthode de classement choisie par des courtisans en 1855 n’été pas vraiment objective, mais ce premier classement officiel des vins de Bordeaux existe toujours, et les vins des châteaux figurant dans cette liste sont considérés comme les meilleurs et les plus prestigieux de la région de Bordeaux, avec des prix (très) élevés correspondant à ce statut.
La classification de 1855 est restée inchangée depuis sa création, malgré le fait qu’elle ne se réfère pas à des zones clairement définies produisant les raisins de la plus haute qualité, comme en Bourgogne, mais à l’ensemble du vignoble d’un château. Pourtant, les vignobles de certains châteaux ont considérablement évolués au fil du temps, par exemple en s’étendant, mais pas toujours, sur un meilleur terroir, ou en étant réorganisé et réplanté avec d’autres cépages.
Néanmoins, deux exceptions ont été faites dans ce classement. Sans tenir compte des domaines qui ont disparu depuis 1855 et qui ont été supprimés de la liste établie par les courtiers, il n’y a eu que deux changements dans la liste originelle des Grands Crus.
Le premier était l’ajout du Château Cantemerle (Haut-Médoc) après que les courtiers aient soumis la liste finalisée à la Chambre de commerce de Bordeaux, mais avant l’Exposition universelle. Le second changement, plus important, est intervenu en 1973, lorsque le Château Mouton Rothschild, qui figurait auparavant parmi les Seconds Grands Crus Classés, a été promu au statut le plus élevé de Premier Cru.
Aujourd’hui, l’Union de Grands Crus de Bordeaux (UGCB) regroupe les châteaux de cette classification, ainsi que les propriétés de la Rive Gauche et de la Rive Droite de Bordeaux, qui se distinguent par leurs vins exceptionnels, et les professionnels du commerce et de la production du vin. La Union assure la promotion des Grands Crus sur le marché national et international et surveille les tentatives de falsification de ces vins (malheureusement, cela arrive, car ces cuvées ont un grand succès auprès des collectionneurs et dans les ventes aux enchères).
À propos, une bonne occasion de les connaître est la dégustation annuelle « Le Week-end des Grands Crus », organisée par l’Union en mai-juin et accessible également aux amateurs de vin, et pas seulement aux professionnels.
L’emblème de l’UGCB, Union de Grands Crus de Bordeaux
Cru Bourgeois du Médoc
Il s’agit d’un classement historique de la région du Médoc, qui remonte au Moyen Âge, mais qui ne commence à prendre forme qu’au XVIIème siècle, lorsque de riches marchands et artisans vivant en ville (qui s’appellaient « bourgeois », dérivé du mot « bourg », « ville ») commencent à acquérir des vignobles pour consolider leur statut social. À cette époque, la classification des crus bourgeois n’est pas officielle mais plutôt empirique, bien qu’une liste hiérarchique des châteaux avec les prix de leurs vins existait déjà en 1740. La hiérarchie des Crus Bourgeois a été officiellement reconnue par la Chambre de Commerce de Bordeaux en 1932, et le Syndicat a été créé dans les années 1960. Ensuite les châteaux dont les vins ont été compris dans cette classification ont été autorisés d’indiquer «Cru Bourgeois du Médoc» sur les étiquettes.
Depuis, plusieurs tentatives ont été faites pour rétablir la hiérarchie historique de trois niveaux :
- Cru Bourgeois.
- Cru Bourgeois Supérieur
- Exceptionnel, Cru Bourgeois Exceptionnel,
mais elles n’ont pas abouti avant 2020. Jusqu’à cette date, il n’existait officiellement qu’un seul niveau, le Cru Bourgeois, bien que ces trois catégories remontent au XVIIIème siècle. En plus les catégories « Cru Artisan » et « Cru Paysan », dont les noms reflètent la profession principale du propriétaire de la cave (respectivement artisan ou paysan), existaient même avant les Crus Bourgeois, mais ne faisaient pas partie de la catégorisation officielle des vins.
La reconnaissance de cette classification en trois niveaux est le fruit du long travail d’un panel d’experts et prend en compte plusieurs critères qui permettent à un château d’atteindre l’un des statuts pour les 5 prochaines années :
- la qualité du vin et la régularité de cette qualité, déterminées par la dégustation des cinq derniers millésimes
- les technologies, appliquées au travail de la vigne
- l’état du chai et du cuvier, qui joue un rôle important dans la qualité des produits (état de l’infrastructure de production, techniques de vinification, vieillissement et stockage du vin…)
- Les infrastructures dont possède ub château : les bâtiments historiques et leur état, l’offre œnotouristique, les aménagements pour les visiteurs (professionnels et grand public).
Les Crus Bourgeois ne rivalisent peut-être pas avec la renommée internationale des Grands Crus Classés de 1855, mais ce sont des vins de grande qualité, qui se vendent à des prix très raisonnable.
L’emblème des Crus Bourgeois
Photo 4 – L’emblème des Crus Bourgeois
Crus Artisans du Médoc
Le terme est également né au XVIIème ou XVIIIème siècle, et indiquait également la profession du propriétaire de la vigne. Comme le nom l’indique, les propriétaires de ses exploitations, souvent petites, étaient des forgerons, des tonneliers…, autrement dit des artisans.
Au fil du temps, le statut d’artisan s’appliquait de moins en moins, car il était considéré comme moins prestigieux que celui de « Bourgeois », selon la hiérarchie des professions des propriétaires. En 1989, à l’initiative de quelques vignerons, un Syndicat de Crus Artisans est apparu et, en 1994, les vignerons ont obtenu le droit de faire figurer leur statut sur l’étiquette.
Tous les vignerons-artisans sont unis par le fait qu’ils aiment leur métier et qu’ils le connaissent très bien : la viticulture et le terroir, ainsi que la vinification et l’élevage, qui convient le mieux pour souligner dans les vins les caractéristiques du terroir d’un vignoble. De plus, Bordeaux est rarement connu pour avoir un rapport qualité/prix aussi agréable.
L’emblème des Crus Artisan /strong>
Crus Classés de Graves : classification de la région des Graves
La région des Graves, historiquement importante, possède également sa propre hiérarchie, mais avec un seul statut. Elle a été établie en 1953 à la demande du Syndicat des Graves et a été révisée en 1959 pour inclure 16 domaines. Elle diffère des autres classifications existant à Bordeaux en ce qu’elle ne s’applique pas aux châteaux ou aux vignobles dans leur ensemble, mais aux vins des châteaux. En d’autres termes, si un domaine produit à la fois des vins blancs et des vins rouges, seul l’un d’entre eux, ou les deux, peuvent recevoir le statut de « Cru Classé », mais pas toujours tous les vins du château.
Depuis 1987, tous les domaines dont les vins ont été ainsi classés appartiennent à la petite appellation de Pessac-Léognan, qui comprend les meilleurs terroirs de la région des Graves. Le Château Haut Brion, qui fut le seul de la région des Graves à entrer dans la liste des Grands Crus Classés de 1855, est le seul à détenir aujourd’hui deux statuts : le Premier Grand Cru Classé en 1855 et le Cru Сlassé de Graves pour le vin rouge.
Emblème de Crus Classés de Graves
Château Haut-Brion
Classification de Saint-Emilion
Les vins de la Rive Droite de Bordeaux – Saint-Emilion, Pomerol, Fronsac – qui forment le groupe du Libournais, ne figuraient pas dans la plus prestigieuse et célèbre classification de 1855. Il existe plusieurs versions de cette situation :
- La première est que les courtiers n’ont pas eu assez de temps avant l’Exposition Universelle pour dresser une liste complète des vins les plus chers des deux rives de Bordeaux.
- La deuxième est que les châteaux de la Rive Droite n’ont pas voulu participer à la liste par crainte du mécontentement de ceux qui n’auraient pas été inclus.
- La troisième, qui est peut-être la plus probable, est que les Chambres de Commerce de Bordeaux (qui s’occupaient des vins de Médoc, de Graves et de Sauternes sur la Rive Gauche) et de Libourne (qui, respectivement, accordaient plus d’attention à Saint-Emilion sur la Rive Droite) existaient séparément et que leurs courtiers ne collaboraient pas. Et comme c’était la Chambre de commerce de Bordeaux qui a demandé à ses courtiers de fournir une liste des meilleurs vins, seuls les représentants de la Rive Gauche figurent dans la fameuse liste de 1855.
Le propre classement des vins de Saint-Emilion a été établi en 1954, à la demande du Syndicat des vignerons de Saint-Emilion. Il comprend trois niveaux:
- – Premier Grand Cru Classé « A »
- – Premier Grand Cru Classé – Parfois l’étiquette peut indiquer Premier Grand Cru Classé « B », bien que cette classe n’existe pas officiellement
- – Grand Cru Classé
Pour accéder à l’un de ces niveaux, un château doit répondre à des critères de technologies appliquées dans le vignoble et dans le chai, de production et d’offre œnotouristique. Ses vins doivent répondre à des critères de qualité évoulés par des professionnels lors d’une dégustation à l’aveugle de vins issus de 10 ou 15 millésimes, selon la catégorie de classement, qu’un château souhaite obtenir. Le classement de Saint-Emilion est renouvelé tous les 10 ans, et les vignerons doivent travailler dur pour maintenir la qualité de leurs produits afin de conserver ou d’améliorer leur statut.
Actuellement, 4 Châteaux ont le statut le plus prestigieux du Premier Grand Cru Classé « A »
14 sont des Premiers Grands Crus Classés, et 65 sont des Grand Cru Classé. Cependant, à Saint-Emilion, contrairement à la Bourgogne, les premiers grands crus classés ne sont pas des appellations d’origine protégées. Ce sont des niveaux dans la classification hiérarchique des vins qui caractérisent leur qualité.
Château Cheval et Blanc Château Ausone – ont retiré leurs candidatures pour le derinier classement des vins de Saint-Emilion
Il existe deux appellations protégées à Saint-Emilion :
- Saint-Emilion AOP
- Saint-Emilion Grand Cru AOP.
Les deux appellations couvrent l’ensemble de la zone de Saint-Emilion, mais diffèrent en termes d’exigences techniques : pour bénéficier de l’appellation Saint-Emilion Grand Cru, les raisins doivent atteindre un certain niveau de teneur en sucre, et le vin doit être vieilli pendant au moins deux ans (et non un an comme pour Saint-Emilion).
Et le Pomerol ?
Curieusement, les vins les plus chers de Bordeaux n’ont pas leur propre classification, et ne rentrent pas dans aucune des classifications existantes présentées ci-dessus. Comme Saint-Emilion, Pomerol a été oublié par les courtiers de Bordeaux, qui ne voulaient pas ou n’avaient pas le temps de faire le tour de toute la région Bordelaise. Alors que le classement des vins de Saint-Emilion est intervenu 100 ans après la célèbre Exposition Universelle de Paris, Pomerol à ce jour n’a toujours pas de classement. Mais cela n’a rien à voir avec le prestige de ses vins, ni avec leurs prix, qui sont bien plus élevés que la moyenne pour les vins de Saint-Emilion. Alors, on peut dire que Pomerol n’a même pas besoin du terme « Grand Cru » sur l’étiquette.
Est-ce que la classification est un critère déterminant quand on achète des vins ?
Question tout à fait juste, même si à première vue, une classification sur l’étiquette semble être un gage de qualité indiscutable. Mais est-ce vraiment le cas ?
Le tout premier classement des vins de Bordeaux, introduit à l’occasion de l’Exposition Universelle de Paris en 1855, était essentiellement une liste de châteaux, classés par prix, dont les propriétaires étaient considérés à l’époque comme les plus influents et les plus renommés. À l’époque de l’Exposition universelle, la décision de déclarer les vins de Bordeaux les plus chers comme étant les meilleurs pouvait se justifier même sans dégustation, car les prix élevés que les acheteurs de ces vins étaient prêts à payer obligeaient en quelque sorte les viticulteurs à produire un vin de qualité appropriée. En d’autres termes, si l’on pouvait se fier à la liste des meilleurs vins établie par les courtiers au XIXe siècle, aujourd’hui on peut probablèment remettre en question le classement de l’année 1855.
Depuis plus de 160 ans, beaucoup de choses ont changé : certains châteaux n’existent plus, d’autres ont changé plusieurs fois de propriétaires (aujourd’hui, seuls 5% de Grands Crus Classés appartient toujours aux mêmes familles qui les possédaient au moment de l’Exposition Universelle), d’autres ont étendu leur vignoble ou l’ont réplanté avec d’autres cépages. De toute manière, les cuvées de 1855 sont des vins légendaires qui justifient leur prix, mais la liste de 1855 devrait être mise à jour pour être plus objective et correspondre à la réalité.
Mais un tel revue de classement pourrait impliquer des changements qui ne seraient pas au goût de tout le monde : il est probable que certains Cinquièmes Crus Classés seraient retirés du classement, tandis que d’autres obtiendraient un statut inférieur. Ainsi, le processus plutôt délicat consistant à modifier la hiérarchie établie depuis si longtemps ne s’est produit qu’une seule fois, et ce pour promouvoir le Château Mouton Rothschild dans une catégorie supérieure. Il est alors peu probable que le reste du classement, établi en 1855, pourrait changer un jour. Il est aussi judicieux de noter, que les Grands Crus Classés sont des domaines historiques, dont les vignobles d’origine ont été repérés pour leur terroirs extraordinaires et la qualité de leurs vins. Ainsi dans leur ensemble les Grands Crus Classés en 1855 représentent dans le monde entier la rénomée et la typicité de grands vins de Bordeaux, des boissons d’exception faits pour une longue garde.
Dans les classements actualisés des Saint-Emilion et des Crus Bourgeois du Médoc un château acquiert le statut de Grand Cru Classé ou de Cru Bourgeois précisément pour la constance de ses vins et pour les caractéristiques distinctives et positives des châteaux eux-mêmes (viticulture et techniques de vinification durables, offre oenotouristique, valeur historique), on peut donc se fier à ces classements.